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    LA PEAU DE BANANE

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    Une peau de banane jaillit par-dessus la vitre baissée et s’accroupit, grotesque, dans le fil d’eau. L’Austin noire vira brusquement à gauche, telle un ballon délesté, pour s’immobiliser à bout de course, devant le « Phœnix and Continental Hôtel ».

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    Le conducteur scruta les alentours, manœuvra habilement l’Austin puis la cloua d’un coup de frein sur le parking, à un emplacement proche de la sortie principale de l’hôtel. Il s’extirpa de la voiture, glissa les clés de contact dans sa poche, calqua la portière, fit quelques pas sur le ciment et s’arrêta dans un rapide demi-tour qui le ramena, en trois enjambées, au véhicule.

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    Lorsqu’il traversa le hall pour se diriger vers l’ascenseur, celui que la standardiste avait appelé « Monsieur Archie » tenait à la main un paquet vert.

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    Le standardiste, une jolie rousse, eut une moue de dépit. Elle admirait « Monsieur Archie ». Il n’était pas beau mais sa haute silhouette aux épaules larges, étroite des hanches, ses cheveux d’un blond cendré coiffant un visage viril et bronzé, l’expression rêveuse qui flottait parfois dans ses yeux gris, tout cela lui conférait un charme indéniable. Elle aurait aimé qu’il s’arrêtât de temps à autre pour bavarder un peu.

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    Le Yale fonctionna avec douceur, la porte de l’appartement 86 s’ouvrit sous la poussée d’Archie qui goûta aussitôt la pénombre et la fraîcheur que lui offrait le salon. Une vague de chaleur accablait depuis quelques jours le Sud-Ouest de l’Union et Phœnix en était écrasée. La ville semblait dormir dans un gigantesque four à mazout.

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    Les rideaux tirés et les volets probablement clos depuis la veille avaient gardé à l’appartement une température toute relative mais suffisante pour que celui-ci constitua une oasis après la traversée de la ville, brûlante comme un désert.

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    Il était 17 heures 15. Snake et Diana ne devraient pas tarder s’ils s’étaient rendus à Tucson de bon matin ainsi que prévu. Archie se sentait les nerfs à fleur de peau ; il supportait difficilement la chaleur. Il tomba la veste qui échoua sur le canapé et déboutonna la chemisette tout en marchant vers la salle de bain.

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    Un quart d’heure plus tard, Archie, en tricot de peau s’installait dans un fauteuil d’osier, les pieds sur une chaise. Le paquet vert, un sachet, s’inclinait, à demi-gonflé, sur une table à sa portée.

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    Les yeux mi-clos, Archie revivait sa rencontre avec Snake, une quinzaine de jours plus tôt à San Francisco. Ils s’y étaient retrouvés après une séparation de trois ans, séparation forcée puisque Snake avait passé ces trente six mois derrière les barreaux de la prison fédérale de Denver. Une sacrée chienne d’affaire ratée par la faute d’un ras cal. ! Ce dernier ne l’avait d’ailleurs pas emporté au Paradis, Archie lui avait mis du plomb dans la cervelle pour lui apprendre à réfléchir sur les conséquences de bavardages inconsidérés. Il l’avait, en compensation, allégé de trois mille dollars. Cette somme et la reconnaissance monnayée de Snake lui avaient permis de vivoter.

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    Archie soupira, se saisit du sachet vert marqué « Arizona Fruits Grocering » et en sortit une main de bananes. Elles étaient ainsi qu’il les préférait, bien mûres, tigrées. Il déposa le sachet, vide à présent, sur la table, plaça la main de bananes à même ses genoux, en détacha une et la dévêtit en quatre gestes lents. La banane formait avec la main brunie une fleur étrange au pistil hypertrophié. Archie fit disparaître le pistil en trois bouchées puis, d’un mouvement sec de la main, il referma la peau qu’il jeta sur le sachet. Les quatre gestes lents firent surgir une nouvelle fleur.

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    Archie songeait que Snake qui n’avait jamais, auparavant, fait allusion à sa consommation de bananes semblait en prendre ombrage depuis son élargissement. Ils s’étaient fréquentés pendant plus de dix ans.. Snake n’avait pas changé. Il était petit, sec, noir mais on sentait aux froids yeux bleus ce que cette petite carcasse pouvait celer de dynamite contenue, des yeux de serpent, inquiétants, cruels. Son nom lui convenait admirablement. C’était un homme maître de soi en toutes circonstances mais, à présent, le rite particulier d’Archie le déconcertait, l’énervait.

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    Le séjour en prison avait sûrement émoussé les qualités qui faisaient de Snake un chef incontesté. A Frisco déjà, il lui avait reproché cette passion qui, disait-il, valait la meilleure photographie. On ne pouvait oublier un gars se promenant partout avec un paquet de bananes à la main, un petit Poucet d’un mètre quatre vingt cinq signalant son passage par des peaux de bananes abandonnées, etc. etc. et il l’avait surnommé Banana Stripper.

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    Oui ! Snake avait bien changé ! Etait-ce Diana qui l’avait transformé à ce point ? Peut-être ! Archie se demandait où il avait bien pu la dénicher.

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    Cinq bananes vides reposaient sur le papier vert. Archie se leva, couronna les peaux du reste de la main et se dirigea vers un meuble bas. Il en sortit une bouteille de Whisky, un verre, remplit celui-ci au tiers environ puis se rendit à la cuisine. Il fit couler le robinet, ouvrit le réfrigérateur, en sortit un moule en matière plastique, le malaxa entre ses mains pour en faire tomber de petits cubes de glace. Trois morceaux de glace tintèrent dans le verre qu’il passa sous le robinet.

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    Réinstallé dans le fauteuil, il perçut le clapotis du robinet qu’il avait omis de refermer. Il ne se sentait plus le courage de se lever ; d’ailleurs, ce bruit frais et le verre glacé tournant entre ses doigts lui apportaient un apaisement momentané.

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    Archie, étonné de s’être servi un Whisky, le dégustait lentement. Il ne buvait habituellement que des eaux minérales ou des jus de fruits. Il n’avait jamais eu de passions réelles, ne fumant pas, il ne s’intéressait ni aux femmes, ni au jeu. Il avait toujours été ainsi, son seul désir, son esclavage, c’était cet appétit de bananes. Il en avait compris toute l’emprise pendant la campagne du Pacifique, alors que son unité de « Marine’s » isolée à plusieurs reprises, mal ravitaillée, avait dû subsister sur les rations de combat. Plus de bananes ! Son caractère s’en était ressenti, l’amertume et la haine reportées sur les Japs lui avaient valu de se distinguer.

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    Sa faim de bananes s’était éveillée depuis cinq, six lustres. Pratiquement orphelin dès l’âge de huit ans, il avait été recueilli par des voisins et ce n’est que plus tard qu’il avait réalisé le drame familial.

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    Le père chômeur, désespéré, les mauvaises fréquentations, la boisson, les disputes quotidiennes. Le drame… Archie, de retour de l’école, s’agrippant au bras de sa mère ensanglantée, le père arrêté qu’il ne devait jamais revoir et la révélation, venue plus tard : la dernière dispute s’élevant au sujet d’une banane destinée au petit Archie.

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    Son premier salaire en poche, un renoncement inconscient aux plaisirs faciles s’était développé, parallèlement à son plaisir d’acheter des bananes, de les savourer et d’être persuadé qu’il pouvait en acheter tant qu’il le désirait. C’était un besoin chez lui, une fonction nouvelle qui s’était ainsi créée. Les railleries, les sarcasmes et les plaisanteries douteuses avaient fait place, avec le temps et de développement musculaire d’Archie, à un étonnement silencieux autant que respectueux.

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    18 heures 30… Snake et Diana tardaient à rentrer… Diana… ce prénom qui l’avait illuminé la veille n’évoquait que malaise aujourd’hui, malaise, inquiétude. Il y avait, à présent, huit bananes vides sur le papier vert. Archie venait d’ouvrir deux fenêtres avec l’espoir illusoire de créer un semblant de souffle d’air mais l’air épais poisseux, n’arrivait pas à pénétrer. Il devait passer au magasin avant la fermeture. Oui ! Il fallait y aller de suite et se débarrasser des peaux. Elle avait peut-être nié ! Snake l’avait-il seulement interrogée ? Il n’avait pas de preuves après tout !

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    Archie remit sa chemisette, pressa, roula les peaux de bananes dans le papier, emporta le verre vide à la cuisine, ferma le robinet et sortit de son pas souple et lent.

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    Archie consulta sa montre. 19 heures… C’était l’heure à laquelle Snake était rentré la veille. Snake… Diana… qu’est-ce qu’ils faisaient ? nom d’un chien ! Allongé sur le canapé il observait le sachet vert posé de guingois sur la table. Celle-ci se trouvait hors de sa portée maintenant. Il ne fallait pas qu’il cède à son envie avant le retour de Snake.

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    Le sachet gonflé l’hypnotisait. Il comprenait encore mieux que le même spectacle avait pu éveiller les soupçons de Snake. Quel idiot il faisait ! Il n’avait pas su résister aux avances de Diana. Il n’avait plus eu ensuite la volonté de réagir, de réfléchir et Snake avait compris rien qu’en voyant un sachet comme celui-ci.

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    La veille, la chaleur avait été plus suffocante encore. Des orages silencieux zébraient le ciel, le tonnerre lui-même se sentait trop accablé pour se manifester. Snake était parti seul pour prendre livraison d’une Lincoln à Benson. Etait-ce lui qui avait renoncé à emmener Diana par cette canicule ? Il avait dit à Archie de passer le voir, à son retour, en fin d’après-midi, pour prendre les dernières dispositions car l’opération projetée était fixée au lendemain 9 heures.

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    L’Austin les avait emmené tous trois à la gare puis Archie avait ramené Diana à l’hôtel. Elle lui avait proposé de venir passer l’après-midi chez elle. Il logeait, pour les besoins de la cause, dans un hôtel inconfortable et l’invitation l’enchantait car elle lui permettrait d’user et d’abuser de la salle de bain.

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    Archie, après avoir laissé passer les heures torrides du début d’après-midi, était donc revenu au « Phœnix and Continental Hôtel ». Il avait fait son plein de bananes au magasin habituel. Le vendeur estimait ce client dont les goûts permettaient l’écoulement de fruits impropres à la consommation dès le lendemain. Il lui consentait des prix qui les satisfaisaient tous deux.

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    Arrivé à l’appartement 86, Archie avait déposé le sachet sur la table puis s’était enfermé dans la salle de bain. La douche glacée lui avait fait grand bien mais il s’était retrouvé face à une Diane inaccoutumée. Un déshabillé suggestif et des gestes étudiés mettaient en valeur un corps irréprochable à la peau transparente, lumineuse. Elle lui avait mis deux bras frais autour du cou et s’était faite grisante, enveloppante, irrésistible. Archie avait été déconcerté, bousculé par le changement d’attitude de Diana. Celle-ci, tellement distante habituellement qu’elle n’avait jamais éveillé en lui le moindre intérêt, lui apprenait soudain qu’elle aimait l’odeur de banane qu’il traînait avec lui. C’était vrai cela ! Il n’y avait jamais pensé…

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    Il devait fleurer la banane comme d’autres hommes le tabac blond, la lavande, l’alcool ou l’eau de Cologne. Quelle était l’odeur particulière de Snake ? Archie s’était laissé emporter par l’ouragan.

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    Le calme revenu, ils avaient pris conscience de l’heure. Cette prise de conscience s’était révélée judicieuse car Snake était rentré plus tôt que prévu et ils avaient tout juste eu le temps de se recomposer une attitude lorsque Snake était arrivé.

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    Avant de passer à la salle de bain, il les avait mis au courant des derniers renseignements reçus puis il avait ajouté :

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    Hello ! Banana Stripper… vieux garçon, préparez-moi un Whisky bien glacé. Y-a-t-il longtemps que vous êtes là ?

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    Archie avait répondu :

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    Deux, trois heures. Je n’avais rien de particulier à faire. Où voulez-vous aller par cette chaleur ?

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    C’était cette précision qui avait tout gâché. Il aurait du répondre « je viens d’arriver… » Snake n’avait pas relevé. Il avait simplement fixé le sachet vert, toujours gonflé de bananes, et son regard froid s’était posé, tout à tour, sur Diana puis sur Archis terriblement mal à l’aise. Ils étaient descendus ensuite pour admirer la Lincoln vert olive et Archie avait rejoint son hôtel.

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    Il avait passé une nuit agitée. Snake avait retardé le travail d’un jour. Pourquoi ? Il avait prétexté une dernière prise de contact avec des gens de Tucson susceptibles de les aider. Etait-ce bien cela ? Archie se posait des questions auxquelles il ne pouvait répondre. Snake avait-il interrogé Diana ? Peut être pleurait-elle à cet instant. Avait-elle avoué ? Si oui ! quelle serait la réaction de Snake ?

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    A chaque fois qu’abruti par la chaleur il allait s’endormir, le bruit caractéristique d’un couvercle de poubelle de cuisine se soulevant le tirait de sa torpeur. Du salon, il avait entendu le pied de Snake se poser sur la pédale, la poubelle s’ouvrir et il imaginait le regard y plongeant à la recherche de peaux de bananes.

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    Un déclic de commutateur… aveuglé par la lumière crue, clignant des yeux, Archie se sentit l’âme d’un coupable. Il ne s’était pas rendu compte que l’obscurité envahissait le salon. Snake et Diana étaient rentrés sans qu’il les entendit. Il reprit, peu à peu, ses esprits et prépara, machinalement, un Whisky pour Snake. Celui-ci ne tarissait pas d’éloges sur les performances de la Lincoln. Diana ne confirmait que par monosyllabes et elle évitait le regard d’Archie qui aurait voulu savoir, un coup d’œil aurait pu le renseigner mais Diana était une énigme. Elle avait les yeux cernés et semblait fatiguée. Archie se dévorait d’inquiétude. Il espérait que Snake allait passer à la salle de bain et qu’il pourrait ainsi savoir mais Snake, en bras de chemise, savourait le Whisky. Archie l’admirait… toujours tiré à quatre épingles… portant chemise et cravate malgré la chaleur… sur son front nulle trace de sueur.

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    Archie se sentait malheureux, impuissant et il sursauta, lorsqu’après un silence, Snake l’apostropha :

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    Ca n’a pas l’air d’aller, garçon ! Vous n’avez donc pas eu soif cet après-midi que vous n’avez pas mangé de vos fruits ? Il est vrai qu’ils ne sont pas rafraîchissants. Vous devriez toujours avoir une poire dans votre paquet. Les Français disent « il faut garder une poire pour la soif » et la poire a cet avantage qu’on peut la manger avec la peau.

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    Snake avait été le seul à rire de sa plaisanterie. Ce rire, extrêmement rare, avait glacé Archie. Un rire grinçant comme une crécelle. Rattlesnake… ! Serpent à sonnette… ! Archie sentait la menace tapie, prête à s’élancer. Snake n’était pas dupe. Il avait déjoué la feinte du paquet intact.

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    Ils avaient ensuite discuté de l’affaire. Celle-ci rapporterait gros. Si elle réussissait et s’ils avaient la chance de franchir la frontière du Mexique, ils laisseraient derrière eux soucis et aventures.

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    Le hold-up devait s’effectuer à 9 heures précises. Ils quitteraient leurs hôtels respectifs de bon matin. Diana partirait aussitôt avec la Lincoln et les attendrait à Maricopa. Une fois la jonction réalisée, Snake et l’argent prendraient place dans la Lincoln qui emprunterait l’autoroute Maricopa-Tucson tandis qu’Archie égarerait les poursuivants en se lançant sur l’autoroute menant à Los-Angeles. Il devrait abandonner son véhicule à un endroit où l’autoroute longe la frontière ; des contrebandiers le prendraient alors en mains pour le passer. Archie n’aurait plus qu’à se rendre dans la région de Santa-Cruz. Il attendrait dans une villa l’arrivée du couple. Snake et Diana hébergés à Tucson par des amis patienteraient jusqu’à ce que la police persuadée que l’argent avait passé la frontière relâcherait la surveillance.

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    Le plan était préparé, pesé, minutieux, Snake ne laissait rien au hasard. Archie savait qu’il pouvait lui faire confiance, lui confier l’argent. Snake était régulier… était régulier… mais à présent ?

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    Archie se remémora le travail qui le concernait. Cela ne semblait pas trop difficile surtout avec la complicité intérieure. A 9 heures, le signal d’alarme serait mis hors d’état de fonctionner, les lignes téléphoniques coupées. Le plan ne comportait pas de failles. Ils examinèrent chaque point, objectivement, méthodiquement et leur confiance s’en renforçait. Une sorte de communion païenne envoûtait Snake et Archie. Calmes, résolues, ils ne formaient qu’un tout quand Snake fit comprendre qu’il était temps de dîner et de se reposer pour être en forme le lendemain.

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    Archie regagna son hôtel de banlieue. Il songeait à Diana ; pas un seul tête à tête au cours de la soirée. Il traînait, comme un boulet rougi, la même question lancinante.

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    Le lendemain matin, Archie chargea ses bagages dans l’Austin puis il rejoignit Snake à une station-service située à la sortie Sud de la ville.

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    Snake semblait d’excellente humeur. Il précisa que Diana, au volant de la Lincoln, roulait vers Maricopa depuis dix minutes déjà. Elle l’avait chargé, en termes expressifs, de transmettre à Archie ses vœux de meilleure chance. Archie fit faire le plein d’essence et ils regagnèrent le centre de la ville à allure modérée.

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    Les deux hommes s’arrêtèrent pour se restaurer dans un « Milk ». Il était prévu, qu’à 8 heures 45, Archie passerait devant l’établissement de crédit afin de constater qu’aucun fait susceptible de contrarier leurs projets n’avait surgi. Il ramènerait ensuite l’Austin à Snake et se dirigerait, à pieds, vers l’établissement devant lequel Snake viendrait stationner.

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    Tout se déroula sans heurts. A 8 heures 45, Archie remonta lentement la rue. Sur le siège voisin, le sachet de bananes de la veille reposait, éventré. Lorsque l’Austin passa devant l’établissement aux abords encore peu animés, elle catapulta une peau de banane. Une deuxième peau jaillit, plus loin et une troisième subit un sort semblable avant que l’Austin ne disparaisse à un carrefour.

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    A 8 heures 57, l’Austin noire s’arrêta devant l’établissement. A 9 heures, Archie en franchit le seuil. Les yeux de Snake semblaient plus froids que d’ordinaire. Ils avaient suivi, pas à pas, l’approche d’Archie et lorsqu’il disparut, Snake balança le paquet vert sur la banquette arrière. Il tira un pistolet-mitrailleur de dessous un plaid, l’arma puis, se glissant jusqu’à la portière droite, il en fait jouer le pêne.

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    A 9 heures 3, Snake entendit des coups de feu étouffés. Il poussa violemment la portière et bondit.

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    Archie sentit les balles lui mordre la chair juste au moment où il franchissait la porte. Il ferma, un instant, ses yeux blessés par le soleil cruel puis il découvrit Snake allongé sur le trottoir. Au-dessus du pistolet-mitrailleur stagnait une légère fumée bleuâtre.

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    Archie chancela, il comprit que Snake allait bondir lui arracher le sac en cuir et disparaître dans l’Austin. Non ! Non ! Cela ne se passerait pas ainsi. Archie réussit à soulever le bras droit et le P. 38 cracha deux, trois, quatre courtes flammes orangées. Snake se tordit sur le sol. Rattlesnake… ! Le serpent à sonnette avait la colonne vertébrale brisée. Canaille ! S’il avait cru se venger tout en profitant de l’opération, il devait réaliser, à présent, que son plan avait échoué. L’expression étonnée, horrifiée de son visage le prouvait. Il avait peut-être espéré qu’Archie allait tomber, mourir de suite comme une fillette. Pourquoi n’avait-il pas tiré une seconde rafale ?

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    Archie fit quelques pas en titubant. Tout son corps lui faisait mal, brûlait. Des cris de femmes, des coups de sifflets lui parvenaient, lointains. Snake rampa, essaya de se hisser dans la voiture mais il s’affaissa et ne bougea plus.

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    Archie tomba à genoux. Il avait lâché le P. 38 et sa main gauche pâlissait sur un sac en cuir rouge. Il haletait, semblait respirer par plusieurs bouches à la fois. Il ne souffrait plus et songeait à Diana qui allait attendre lorsqu’il bascula en avant.

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    Archie sentait la vie le fuir, lentement, lentement. Il voyait quelque chose devant lui et il réalisa que c’étaient les pieds de Snake.

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    Alors, un rire le secoua, un rire énorme, irrésistible. Il avait compris réellement, cette fois-ci. Le rire douloureux, gargouillant, suffoquant, atroce s’apaisa puis s’éteignit.

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    Une peau de banane écrasée, noirâtre, privée de sa substance, se décollait lentement, lentement, de la semelle droite de Snake et penchait la tête vers le trottoir.

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                                                                                                    DESSUS

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    J-C CLERESE


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